Régulation sociale et négociation : le paradoxe français

07 May 2019
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La négociation est au cœur de tout processus de régulation sociale. C’est la thèse centrale de la théorie du sociologue du travail Jean-Daniel Reynaud, qui nous a quitté le 27 janvier 2019. Ce processus prend sa source dans la dialectique qui oppose la formulation des règles par une autorité légitime et leur contestation sous la forme d’un conflit, qu’il s’agisse d’un conflit d’intérêt, de valeurs ou simplement d’un évitement de la règle (conflit de norme). La théorie de la régulation sociale de Jean-Daniel Reynaud postule que la négociation est le moyen de résoudre ce débat.

Le législateur a choisi de placer la négociation au centre de la régulation sociale en entreprise. Il a d’abord légitimé les acteurs habilités à négocier avec l’employeur en fondant la représentativité syndicale sur le résultat des élections du personnel. Puis il a précisé peu à peu la méthode de négociation qu’il convient d’adopter : partir d’un diagnostic partagé pour définir la problématique à résoudre, et dégager entre les parties une majorité disposée à contractualiser avec l’employeur.

Les ordonnances Macron ont parachevé cet édifice législatif en instituant la primauté des accords d’entreprise par rapport aux dispositions supplétives prévues dans le code du travail. La loi continue de fixer un cadre, mais à l’intérieur de ce cadre, tout est pratiquement négociable. Cette évolution confère aux partenaires sociaux une nouvelle responsabilité : définir par la négociation ce qui est à la fois favorable à l’entreprise et à ses salariés.

Cependant, cette nouvelle capacité des partenaires sociaux à légitimer par accord la stratégie de leur entreprise se heurte à une difficulté persistante qui tient au paradoxe français : nous sommes le pays développé où l’émiettement syndical est le plus fort et où le taux de syndicalisation est le plus faible. Dans un contexte général de participation électorale en baisse, 67% des entreprises ou établissements de plus de 11 salariés sont dotés d’instances représentatives des salariés, mais seulement 37% d’entre eux disposent d’une présence syndicale permettant la désignation d’un DS. Or la loi réserve encore largement aux délégués syndicaux la capacité de négocier et de signer des accords.

Les ordonnances ont cherché à résoudre ce paradoxe en développant la possibilité de négocier sans DS, en même temps qu’elles entérinaient la possibilité de signer des accords de « performance économique » dérogeant aux dispositions protectrices des salariés. Un accord d’entreprise peut désormais prévoir des dispositions moins favorables que celles du cadre général fixé par la législation. Et cet accord peut être validé de multiples façons : par une majorité syndicale représentative dans l’entreprise, ou à défaut par un referendum confirmant la signature d’organisations minoritaires, ou encore à la majorité des membres du CSE, ou même en combinant le referendum avec la signature d’élus ou de simples salariés mandatés par une organisation syndicale. Depuis 2018, 500 accords ont déjà été ratifiés par référendum, dont 47 accords de performance économique.

Les avantages pour la régulation sociale que procurent ces nouvelles dispositions doivent maintenant être démontrées dans les faits. Il s’agit, en France, de sortir d’une culture de la lutte considérée comme l’étape indispensable à l’établissement d’un rapport de forces, pour entrer dans une culture du compromis découlant d’un débat en vue d’un diagnostic partagé.

L’actualité met cependant à l’épreuve la méthode que le législateur tente d’imposer aux entreprises privées. Le mouvement des Gilets Jaunes illustre en effet l’incapacité de l’Etat à trouver une issue négociée au conflit, à l’heure où il autorise les entreprises à remettre en cause de façon négociée des acquis sociaux. Il sera utile aux employeurs de réfléchir à ce qui légitime leur politique avant de s’engager dans des transformations ambitieuses. Plus que jamais, l’apprentissage de la négociation exige de l’humilité.

 

Philippe Darantière, RES EURO CONSEIL anime la formation "Stratégie et pratique de la négociation collective", découvrez le programme

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